Comment améliorer l’efficience des tests de dépistage précoce de la maladie d’Alzheimer ?

C’est la question à laquelle essaye de répondre Kim Gauthier, doctorante en Psychologie à Aix-Marseille Université, et psychologue spécialisée en neuropsychologie.

Dans le cadre d’un contrat doctoral financé par le Conseil Régional Sud - PACA, filière “Santé”, elle effectue son projet de recherche sous la direction d’Isabelle Régner, Professeure des Universités, responsable de l’équipe Cognition et Neurosciences sociales au Laboratoire de Psychologie Cognitive (UMR CNRS 7290) et Vice-Présidente à Aix-Marseille Université (égalité femmes-hommes et lutte contre les discriminations). Le projet doctoral est complémentaire à une étude de plus grande envergure, impliquant plusieurs hôpitaux et laboratoires de recherche en France. Cette étude, nommée AGING, tente d’améliorer le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer en prenant en compte le rôle des facteurs émotionnels. La combinaison des connaissances et des techniques de recherche en psychologie sociale, psychologie cognitive, neurologie, neurosciences, et biologie, confère à ce projet une dimension interdisciplinaire inédite dans le cadre du diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer. 

 

Dans son projet doctoral, Kim Gauthier s’intéresse spécifiquement à l’impact des états émotionnels dans le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer. Plus précisément, elle tente de savoir comment le stress lié à la situation d’évaluation neuropsychologique en hôpital (et donc associée à la peur d’un éventuel diagnostic positif), mais aussi comment des états émotionnels dépressifs plus chroniques sont susceptibles de fausser ce diagnostic en amenant les personnes à obtenir des performances aux tests en dessous de leurs capacités réelles. Les personnes âgées de plus de 85 ans, qui représentaient 1,4 millions de personnes en 2018, sont estimées au nombre de 5 millions en 2060 et leur espérance de vie augmentera jusqu’à 86 ans pour les hommes et 91,1 ans pour les femmes1. Or, le risque de maladies liées au vieillissement comme la maladie d’Alzheimer augmente inexorablement avec l’âge, interrogeant sur la prise en charge de ces personnes et de leur entourage. La maladie d’Alzheimer est une affection dégénérative cérébrale dont le processus débute plusieurs années, voire des décades avant que le diagnostic clinique ne puisse être établi. Il est donc nécessaire de l’évaluer le plus tôt possible, dès les premiers stades, afin de limiter les retentissements sur la vie du patient et de son entourage, en proposant une prise en charge multidisciplinaire adaptée. Un des premiers stades de la maladie, appelé MCI (Mild Cognitive Impairment ou Trouble Cognitif Léger) et identifié par Ronald Petersen dès 1997, permet de caractériser la potentielle évolution vers une maladie neurodégénérative. Le diagnostic, réalisé entre autres grâce à des tests de mémoire, de langage, d’attention (appelé bilan neuropsychologique), est effectué de manière systématique et renouvelé par les centres mémoire, environ tous les ans. Ces résultats sont complétés, dans la mesure du possible, par des examens biologiques et d’imagerie.

 

Or, les personnes diagnostiquées avec un MCI n’évoluent pas toutes vers la maladie d’Alzheimer ; certaines restent stables et d’autres reviennent même à la normale quelques mois après le premier diagnostic (les taux de retour à la normale pouvant varier de 4,5% à 53% selon les cohortes étudiées). Un retour à la normale des performances neuropsychologiques étant impossible dans le cadre d’une maladie neurodégénérative, se pose alors la question d’une erreur de diagnostic (faux-positifs) et de ses conséquences désastreuses pour les personnes d’un point de vue psychologique, social, éthique mais aussi économique. Les collaborateurs du projet s’emploient donc à tester des procédures destinées à améliorer l’exactitude du diagnostic précoce.  (Figure d'illustration : Diagnostic du déficit cognitif léger | Source MediPedia)

 

D’où vient la différence de diagnostic entre les bilans, réalisés à quelques mois d’écart ?

 

Effet des stéréotypes négatifs du vieillissement

 

Le projet de Kim Gauthier s’intéresse à l’impact des stéréotypes négatifs du vieillissement, véhiculés socialement. L’hypothèse testée dans son projet est que ces stéréotypes, du fait de la peur d’un déclin cognitif sévère et des maladies qu’ils véhiculent, peuvent perturber les personnes âgées durant la passation des tests neuropsychologiques, au point de leur faire perdre leurs moyens et de les conduire à moins bien réussir les tests qu’elles ne le devraient. Ces stéréotypes sont en effet bien connus dans nos sociétés, y compris des personnes âgées elles-mêmes. Combinés avec la peur collective actuelle au sujet de la maladie d’Alzheimer, les stéréotypes négatifs du vieillissement peuvent diminuer artificiellement les performances des personnes âgées aux tests neuropsychologiques passés en hôpital, aboutissant parfois à un diagnostic erroné d’un état précoce de la maladie d’Alzheimer. S'il existe de nombreuses preuves expérimentales de l’effet de ces stéréotypes chez les personnes âgées saines lors de tests cognitifs, aucune étude avant le projet AGING n'a testé leurs effets chez les patients au cours de l'évaluation précoce de la maladie d’Alzheimer.   

 

Effet des états émotionnels chroniques 

 

Une autre idée centrale du projet est que le sur-diagnostic peut être lié à des états émotionnels chroniques (comme la dépression et l’anxiété), mal évalués ou non pris en compte par l'évaluation neuropsychologique traditionnelle. L'objectif est d’évaluer plus finement ces états émotionnels grâce à des mesures, dites implicites, qui permettent de dépasser les limites des questionnaires habituels auxquels les personnes peuvent ne pas répondre objectivement (soit parce qu’elles ne souhaitent pas dévoiler leurs pensées intimes, soit parce qu’elles n’en sont pas conscientes). Kim Gauthier utilise le Test des Associations Implicites, créé par l’équipe d’Anthony Greenwald en 1998, comme mesure implicite des états chroniques anxieux et dépressifs. Il s’agit d’un test informatisé très simple de catégorisation de mots, d’une durée de 10 minutes environ, qui permet d’estimer la force des associations en mémoire (automatismes) entre, par exemple, soi et des pensées négatives versus positives. Il s’agit ensuite de savoir si ces états émotionnels chroniques peuvent nuire aux performances des personnes âgées aux tests neuropsychologiques, soit directement, soit indirectement en les rendant plus sensibles aux effets des stéréotypes décrits ci-dessus.

 

Kim Gauthier, la passion de la recherche au service des patients 

 

“Le diagnostic des troubles cognitifs légers repose encore en grande partie sur les tests neuropsychologiques de la mémoire et des fonctions cognitives globales. Il est donc important de connaître l’impact du stress et des stéréotypes sur ces tests et de montrer qu’il est possible de limiter cet impact. Dans ce domaine au croisement des Sciences Humaines et Sociales (Psychologie Sociale et Cognitive) et la Médecine (Neurologie et Neurobiologie), cette recherche est une première dans le monde.”

Ces objectifs, Kim les poursuit au quotidien dans sa pratique clinique et celle de chercheuse. Son activité mixte, en laboratoire de recherche et en hôpital, lui permet de côtoyer des patients à qui elle veut apporter des réponses. “Je veux avoir ma place pour changer les choses, non pour faire seulement des constats, mais je souhaite répondre à ces questions et m’en poser toujours de nouvelles”.

 

“Il est nécessaire de tenir compte de l’angoisse et du stress lors du diagnostic, mais aussi de trouver des solutions pour rassurer les patients. Tous les professionnels de santé et les chercheurs doivent garder cette dimension en tête et l’intégrer dans leur pratique”.

Elle combat ainsi la fatalité ambiante qui entoure parfois l’espoir concernant les maladies neurodégénératives : “Nous allons trouver, même si c’est dans 30 ans, et je veux faire partie de cette histoire-là”.

 

 

Pour aller plus loin : 

 

Gauthier, K., Morand, A., Dutheil, F., Alescio-Lautier, B., Boucraut, J., Clarys, D., Eustache, F., Girard, N., Guedj, E., Mazerolle, M., Paccalin, M., de La Sayette, V., Zaréa, A., Huguet, P., Michel, B.F., Desgranges, B., AGING Consortium, & Régner, I. (2019). Aging Stereotypes and Prodromal Alzheimer's Disease (AGING): Study protocol for an ongoing randomised clinical study. BMJ Open, 9(10):e032265. doi:10.1136/bmjopen-2019-032265

 

Mazerolle, M., Régner, I., Barber, S. J., Paccalin, M., Miazola, A.-C., Huguet, P., & Rigalleau, F. (2017). Negative Aging Stereotypes Impair Performance on Brief Cognitive Tests Used to Screen for Predementia. The Journals of Gerontology Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, 72(6): 932–936. https://doi.org/10.1093/geronb/gbw083

 

 

 


1 Ministère des Solidarités et de la Santé, Personnes âgées : les chiffres clés https://solidarites-sante.gouv.fr/archives/loi-relative-a-l-adaptation-de-la-societe-au-vieillissement/article/personnes-agees-les-chiffres-cles