Pratiques et interventions probantes pour prévenir les chutes à domicile

La pratique fondée sur les données probantes est souvent représentée par trois cercles qui s’entrecroisent : l’expérience du patient et ses choix, l’expérience clinique du professionnel et les connaissances scientifiques les plus pertinentes. La partie commune aux trois cercles renvoie à la pratique fondée sur les données probantes. L’OMS invite à s’appuyer à la fois sur les connaissances scientifiques et sur les connaissances issues de l’expérience pour construire des actions de prévention et de promotion de la santé efficaces.  Une intervention probante est une intervention dont l’efficacité a été évaluée dans un cadre de recherche et publiée dans des revues à comité de lecture (selon Lacouture, 2016).

Plusieurs dispositifs ont été mis en œuvre dans les pays étrangers (francophones ou anglophones) pour favoriser auprès des décideurs le recours aux données sur des interventions probantes dans le champ de la prévention et de la promotion de la santé. Certains de ces dispositifs proposent des données ou interventions concernant la population âgée. Les pratiques probantes décrites plus loin s’appuient principalement sur :

  • des données extraites des sources suivantes : Health Evidence, County Health Rankings & Road Maps, Cochrane collaboration, PDQ Evidence, Evidence for policy and practice information centre, the National Institute for Health and care Excellence, Portail canadien des pratiques exemplaires   
  • des recommandations de l’OMS,  du Ministère de la Santé, de l’HAS, de groupes d’experts INSERM ou de sociétés savantes
  • soit enfin sur les résultats de méta-analyses d’essais contrôlés randomisés dans le domaine de la prévention des chutes, ainsi que de revues récentes de la littérature

 


Les interventions recommandées pour prévenir les chutes

La prévention des chutes fait l’objet de recommandations qui s’appuient sur les résultats de revues de la littérature internationales très nombreuses et régulièrement mises à jour. Si les niveaux de preuve pour certaines recommandations peuvent varier selon les auteurs, les deux pratiques les plus efficaces pour prévenir les chutes chez les personnes âgées à domicile sont l’activité physique adaptée et la mise en place d’intervention multifactorielles incluant des exercices physiques adaptés.

 

1/ Repérage des personnes à risque

Sont recommandées, la recherche annuelle systématique par interrogatoire des épisodes de chute et de leurs circonstances chez toutes les personnes âgées et l’évaluation multifactorielle des chuteurs ou des sujets à risque (recherche d’antécédents de chute, de troubles de l’équilibre, diminution de la force musculaire, risque d’ostéoporose, troubles visuels, peur de chuter, troubles cognitifs et neurologiques, examen cardio vasculaire, incontinence urinaire, évaluation du logement).

 

2/ Activité physique adaptée

Une récente revue Cochrane (Sherrington 2019) analyse 108 essais randomisés évaluant les effets de l’exercice physique comme seule intervention pour prévenir les chutes (23407 participants vivant à leur domicile dans 25 pays). La revue conclut à l’efficacité des programmes d’activité physique pour diminuer le taux de chute et le nombre de personnes âgées concernées par des chutes et confirme les conclusions de précédentes revues de la littérature (Stubbs, 2015 ; Gillespie, 2012). Ces programmes pourraient également diminuer les chutes avec fractures et les chutes nécessitant une prise en charge médicale. Ils n’auraient pas contre aucun effet sur la qualité de vie.

Une autre revue de la littérature (Guirguis Blake, 2018) met en évidence une relation significative entre exercices physiques et diminution du nombre de personnes victimes d’une chute et diminution du nombre de chutes causant des blessures. Le bénéfice de l’exercice est rapporté qu’il soit pratiqué seul ou dans le cadre d’une prise en charge multifactorielle. 

Dans l’essai français « Ossébo », la réalisation du programme d’exercice a été associée à une réduction de 19% du risque de chute avec blessure (El Khoury, 2015).

Pour qui ? 

Les personnes ayant des antécédents de chute ou des troubles de l’équilibre sont celles qui bénéficient le plus de ce type de programme (NICE, 2018). Les programmes d’exercices physiques ont également montré une efficacité pour prévenir les chutes chez les personnes souffrant de maladie de Parkinson, par contre le bénéfice n’est pas démontré chez les survivants d’accident vasculaire cérébral ou chez les personnes récemment rentrées chez elles après une hospitalisation (Sherrington, 2017 ; Naseri, 2018).

 

Quels programmes d’exercices ?

 

Pour être efficaces les programmes doivent inclure des exercices d’équilibre et des exercices fonctionnels(réduction du taux de chute de 24%). L’efficacité est encore augmentée si on leur ajoute des exercices contre résistance (réduction du taux de chute de 35%). L’effet est également positif pour la pratique du Tai Chi(pourrait réduire le risque de chute de 19% et le nombre de chuteurs de 20%). Le Tai Chi augmente la capacité perçue de pouvoir exécuter des activités sans perdre l’équilibre, réduit les chutes et la peur de tomber et est particulièrement efficace chez les personnes à risque réduit de chutes (Rand, 2011 ; Huang, 2015). Le yoga peut apporter de petites améliorations de l’équilibre (Youkhana, 2016).  Par contre, les exercices contre résistance pratiqués seuls, la danse ou la marche n’auraient pas un effet concluant sur la prévention des chutes. 

Parmi les exercices qui ont montré une réelle efficacité, on trouve :

  • L’entrainement pour améliorer les pas (qui vise à imiter une situation de chute) (Okubo, 2016)
  • L’entrainement à l’équilibre (avec perturbations qui provoquent un déséquilibre de la posture) (Mansfield, 2015)
  • L’entrainement de type Pilates (Bullo, 2015)
  • Les exercices pour le pied et la cheville (Schwenk, 2013)
  • Les exercices de renforcement musculaire des membres inférieurs (Ishigaki, 2014)

Les programmes associant des exercices de stimulation de l’équilibre et de la marche et des exercices de renforcement musculaire sont efficaces chez les personnes vivant à domicile, aussi bien s’ils sont pratiqués en groupe que s’ils sont pratiqués en individuel. Ces programmes sont également efficaces sur la prévention des chutes traumatiques (El Khoury, 2013).  

Dans la méta-analyse de Sherrington (2008), l’efficacité des programmes d’exercice repose sur deux éléments : une stimulation efficace de l’équilibre (exercices répondant à au moins deux des trois critères suivants : mouvement contrôlé de déplacement du centre de gravité, réduction de la base d’appui et utilisation minimale des membres supérieurs) et une durée totale d’exercice dépassant les 50 heures. 

On considère que les exercices d’entrainement de l’équilibre ne présentent pas de danger particulier s’ils sont prescrits et encadrés par des professionnels qualifiés (Dargent-Molina, 2017). Le groupe d’experts de l’INSERM (2015) recommande d’adapter les exercices d’équilibre à l’état de santé et à l’état fonctionnel des personnes âgées. 

 

Recommandations de l’OMS

Selon l’OMS (2010) la promotion de l’activité physique doit être faite chez toutes les personnes âgées, sans tenir compte de leur niveau de risque de chute. Les personnes de 65 ans ou plus devraient pratiquer au cours de la semaine, au moins 150 minutes d’activité d’endurance d’intensité modérée (aquagym, vélo a moins de 16 km/h, jardinage en général) ou au moins 75 minutes d’activité d’endurance d’intensité soutenue (marche rapide, marche avec sac à dos, jogging, nage rapide), ou une combinaison équivalente d’activité d’intensité modérée et soutenue. L’activité d’endurance devrait être pratiquée par périodes d’au moins 10 minutes. Pour pouvoir en retirer des bénéfices supplémentaires sur le plan de la santé, les personnes âgées devraient augmenter la durée de leur activité d’endurance d’intensité modérée de façon à atteindre 300 minutes par semaine ou pratiquer 150 minutes par semaine d’activité d’endurance d’intensité soutenue, ou une combinaison équivalente d’activité d’intensité modérée et soutenue. Les personnes âgées dont la mobilité est réduite devraient pratiquer une activité physique visant à améliorer l’équilibre et à prévenir les chutes au moins trois jours par semaine. Des exercices de renforcement musculaire faisant intervenir les principaux groupes musculaires devraient être pratiqués au moins deux jours par semaine. Chez les sujets âgés présentant des incapacités (sujet âgé fragile), des modèles de programme hebdomadaire sont également proposés  (Van Beveren, 2012).

 

 

3/ Adaptation du logement

 

Certaines mesures simples comme la mise en place d’un éclairage adapté, la pose de barres d’appui ou la fixation des tapis, peuvent efficacement réduire les risques de chute à domicile, en particulier chez les personnes fragiles à haut risque de chute et lorsque l’adaptation du logement fait suite aux recommandations d’un ergothérapeute (Gillespie, 2012).  L’adaptation du logement n’est cependant utile pour prévenir les chutes que si elle fait partie d’une intervention multifactorielle. 

A la suite d’une hospitalisation pour chute, et de façon plus générale à la suite de toute hospitalisation chez une personne ayant des antécédents récents de chute, l’évaluation des risques au domicile devrait être systématiquement proposée (NICE 2018 ; Naseri, 2018).

 

 

4/ Diminution ou suppression des psychotropes

 

La vérification du traitement médical afin de diminuer la prise de médicaments psychotropes a montré une efficacité pour diminuer les chutes [Gillespie, 2012]. Les personnes âgées devraient être encouragées à réduire leur consommation de somnifère et de sédatifs. Benzodiazépines et antidépresseurs ont également été associés avec le risque de chute. Lee & Holbrook ont publié en 2017 un protocole d’étude pour déterminer si les stratégies d’abandon de certains médicaments utilisées seules étaient efficaces pour prévenir les chutes et leurs conséquences chez les personnes âgées (évaluation des essais randomisés contrôlés publiés et non publiés). Leurs résultats ne sont pas publiés pour l’instant. 

 

5/ Pose d’un pace maker 

 

Les stimulateurs cardiaques réduisent les chutes chez les personnes présentant des troubles du rythme cardiaque (Gillespie, 2012). Ils sont également recommandés chez les personnes souffrant d’hypersensibilité cardio-inhibitrice des sinus carotidiens (causant des vertiges et des évanouissements) et chez ceux qui font des chutes inexpliquées (Nice, 2013).

 

6/ Port de chaussures adaptées et soins podologiques

 

Les dispositifs antidérapants pour les chaussures peuvent réduire les chutes en cas de chaussée glissante (Gillespie, 2012). Les talons de plus de 2,5 cm pourraient augmenter le risque de chute, de même que le port de chaussures avec une semelle intermédiaire épaisse et molle (risque d’instabilité) (Aboutorabi, 2016). Des soins multidisciplinaires en podiatrie (évaluation des chaussures, personnalisation des semelles intérieures, exercices pour le pied et la cheville) peuvent réduire les chutes chez des personnes souffrant de douleurs invalidantes aux pieds (Gillepsie, 2012). Le coût-efficacité de la prise en charge des problèmes podologiques a été également montré dans le contexte du risque de chute (Corbacho, 2018).

 

7/ Inciter les personnes âgées à participer à des programmes de prévention des chutes 

 

Ce type d’incitation suppose de négocier avec les participants, d’identifier les barrières à la participation, de tenir compte des préférences et de proposer une information adaptée. 

 

8/ Formation des soignants et information des personnes âgées et de leurs aidants

 

Formation et information doivent porter sur les risques de chute et les mesures préventives à adopter (conduite à tenir en cas de chute, bénéfices physiques et psychologiques de la réduction du risque de chute, les chutes évitables, comment entretenir sa motivation pour poursuivre les exercices physiques de prévention à long terme) (NICE 2018).

Les canadiens ont développé un programme d’éducation destiné aux professionnels de santé : The Canadian Falls Prevention Curriculum© (CFPC). Ce programme, dont l’efficacité a été évaluée, propose une méthode pour poser le problème, évaluer le risque, définir et mettre en place des solutions et en mesurer l’impact (Scott, 2011).   http://canadianfallprevention.ca/  Le programme vient récemment d’être traduit en français (Scott, 2017).

 

 

9/ Interventions multifactorielles 

 

Elles sont particulièrement recommandées pour les personnes à risque élevé de chute ou ayant fait des chutes à répétition ou une chute avec blessure. Parmi les interventions multifactorielles ayant montré une efficacité on retrouve des combinaisons associant : exercices d’équilibre et de force musculaire, évaluation du logement et adaptation, correction des troubles visuels et diminution/modification des traitements médicamenteux (NICE, 2013 ; Tricco, 2017).

 

Le programme australien « Stay on your feet » a été mis en place au début des années 1990 et pendant quatre ans avec l’objectif de réduire les chutes chez les résidents âgés de la côte nord de l’Australie. Les interventions mises en place couvraient les principaux facteurs de risque de chute (insuffisance d’activité physique, équilibre insuffisant, environnement non adapté…) à travers de l’information, de l’éducation communautaire, de la sensibilisation auprès des médecins et l’adaptation des logements. Les différentes évaluations réalisées ont montré une diminution de 22% des chutes déclarées dans la zone d’intervention par rapport à la zone témoin. Ce programme a été décliné dans différentes zones de l’Australie et dans plusieurs pays. (Van Beurden, 1998).

 

Un autre programme ciblant des personnes âgées vivant à domicile dans la région australienne du Queensland a été mis en œuvre pendant deux ans (1996 et 1997) avec l’objectif de réduire de 10% le nombre de chutes. Les interventions proposées associaient information sur les facteurs de risque, exercice pour améliorer la force et l’équilibre, conseils pour adapter le domicile et prise en charge  médicale plus globale pour améliorer l’état de santé. Par rapport au groupe témoin, les groupes visés par l’intervention avaient au bout d’un an une réduction de leur risque de glissade de 58%, de leur risque de trébuchement de 64% et de chute de 30%. (Steinberg, 2000). 

 

 

 

Les interventions non recommandées par manque de preuve de leur efficacité ou à cause de résultats contradictoires

 

Supplémentation en vit D

 

Selon les études, la supplémentation en Vit D et calcium pourrait avoir un effet positif dans le cadre d’interventions multifactorielles (Tricco, 2017), mais les résultats sont contradictoires et très variables selon les études. Il y aurait par ailleurs une plus grande fréquence de complications liées aux chutes lorsque sont données des doses importantes de Vit D (Guirguis-Blake, 2018). La correction des déficits en vitamine D pourrait réduire le risque de chute mais il existe de nombreuses incertitudes sur les doses à administrer et l’impact sur le risque de fracture. Certains recommandent cependant la supplémentation en Vit D chez les patients ayant des niveaux abaissés de vit D (Gillepsie, 2012) 

 

 

 

 

Déficits sensoriels

 

L’examen ophtalmologique et la correction des troubles visuels éventuels doivent être systématisés chez le sujet âgé chuteur. Les cataractes doivent par exemple être opérées. La seule correction des troubles visuels aurait peu d’efficacité pour prévenir les chutes si elle est isolée, elle est par contre très efficace dans le cadre de programmes multifactoriels de prévention des chutes (Tricco, 2017). 

L’appareillage auditif précoce est également recommandé en cas de baisse de l’audition.

 

Autres interventions

 

Selon le National Institute for Health and care Excellence (2013 et 2018), un certain nombre d’autres interventions n’ont pas montré d’efficacité pour prévenir les chutes chez les personnes âgées comme la marche rapide, les exercices de faible intensité combinés à des exercices pour corriger l’incontinence urinaire, les exercices de groupe (non ciblés), les interventions pour corriger les troubles cognitifs ou comportementaux, ou encore les protections de hanche utilisées au domicile.   

 

Les données probantes sont par ailleurs insuffisantes pour déterminer l’efficacité des technologies de détection des chutes sur la prévention des chutes, la détection précoce des chutes ou la peur de tomber (Pietrzak, 2014). Selon certaines études, ces technologies pourraient toutefois accroître la confiance des personnes âgées, leur sentiment de sécurité et leur indépendance (Hawley-Hague, 2014)

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